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C'est grâce à un article de Francis Salet que Notre-Dame de Corbeil (Essonne) n'est plus seulement un nom suggestif pour les médiévistes, mais également un monument dont on peut évoquer la forme1. En effet, outre la synthèse qu'il effectua sur l'histoire de l'église, il révéla qu'un certain nombre de fragments avaient survécu dans le parc du château de Montgermont, près de Ponthierry, en Seine-et-Marne. Ceux-ci, associés aux gravures publiées par Pinard d'après les dessins de Jean-Baptiste-Joseph Jorand2, donnent en effet un cadre d'interprétation pour les quelques autres fragments aujourd'hui conservés au musée.
Selon l'abbé Lebeuf, un texte mentionnerait l'existence de Notre-Dame de Corbeil dès 10933. Il est en tout cas certain que la collégiale existait déjà en 1125, date à laquelle Louis VI concède à Saint-Victor de Paris le revenu de ses prébendes vacantes4. Aucun texte, cependant, ne permet véritablement de dater la construction de l'église. En revanche, les circonstances de sa disparition sont mieux connues : dès la fin du xviie siècle, on évoque la nécessité de faire des réparations dans l'église, devenue paroissiale en 16015. Au milieu du siècle suivant, après que l'on eut étudié les possibilités de le sauver, le clocher est détruit. Puis, en 1793, l'église est désaffectée, rachetée par la municipalité et utilisée comme entrepôt de matériaux divers. La même année, les sculptures du portail sont bûchées et les statues-colonnes déposées par un entrepreneur du nom de Nagel. Deux d'entre elles furent rachetées par Antoine-Louis-François Sergent, dit Sergent-Marceau, et peuvent probablement être identifiées avec les deux statues-colonnes entrées au musée des Monuments français, puis, plus tard, au Louvre6. En 1806, Napoléon fit passer Notre-Dame sous la tutelle de Saint-Spire de Corbeil. L'église était cependant très dégradée ; en 1819, elle fut vendue à un charpentier, François Pinard, et à un maçon, Louis-François Magdelain, qui la détruisirent. Une partie des restes fut achetée par le comte de Gontaut-Biron, qui les fit remonter dans le parc de Montgermont. On ignore en revanche dans quelles conditions le baron Taylor entra en possession des quatre chapiteaux qu'il donna au musée en 1844 (Cl. 18956, 18957, 19039 et 19040).
Selon le plan publié par Pinard et repris par Francis Salet, l'église se composait d'une courte nef à trois vaisseaux de quatre travées, alternant piles fortes et piles faibles, d'un transept largement débordant et d'un chœur encore plus trapu, d'une seule travée, prolongé à l'est par deux absidioles et une large chapelle d'axe, de plan rectangulaire. Le chœur était supporté par une crypte. Aucun document ne permet de juger de l'aspect des parties orientales de l'église, chevet et transept. La nef, en revanche, est mieux connue, grâce à une arcade conservée à Montgermont, de même que le portail, sur lequel nous ne nous attarderons pas ici, le musée n'en conservant aucun élément. Qu'il suffise de dire que sa datation est contestée, Francis Salet comme Françoise Baron le plaçant dans le dernier quart du xiie siècle7, quand Willibald Sauerländer lui assigne une chronologie plus haute, dans les années 1150-11608. Walter Cahn, enfin, opte pour une solution médiane, situant le portail dans les années 1160-11709.
Il nous semble cependant, au vu des éléments conservés au musée et de leur chronologie relative, qu'il faut probablement resserrer les datations de la nef et du chœur. Ces éléments peuvent en effet se répartir en deux groupes. Trois d'entre eux (Cl. 18957, 19039 et 19040) présentent un décor végétal dérivé du chapiteau corinthien que l'on peut rapprocher sans hésitation des chapiteaux des bas-côtés de la travée de pile faible conservée à Montgermont ; sans doute proviennent-ils, eux aussi, du bas-côté d'une telle travée. Le quatrième (Cl. 18956), en revanche, porte un décor très différent ; au contraire de ce qu'a fait remarquer Walter Cahn10, il ne relève plus de l'art roman, mais, une fois replacé dans le contexte parisien, de l'art tel qu'il se développe dans la lignée du cloître de Saint-Denis et du chœur de Saint-Germain-des-Prés11. Dès lors, il n'est pas certain qu'il faille lui attribuer une datation différente de celle des chapiteaux à décor végétal, qui relèvent de la même influence. La question de la provenance est, alors, plus ouverte que ne le pensait Walter Cahn. Si l'on ne peut faire une confiance aveugle à la gravure de Pinard qui le place dans la nef, le situer dans le chœur ou le transept, dont il serait alors le seul élément conservé, imposerait de considérer que l'église a été construite en une seule campagne, malgré les archaïsmes remarqués par Francis Salet12. Il est fort dommage que les autres vestiges dits romans de Notre-Dame de Corbeil, mentionnés dans des textes du xixe siècle et du début du siècle suivant13, aient disparu, car ils auraient peut-être pu nous éclairer sur ce problème. Le contexte stylistique de ces chapiteaux invite à replacer la construction de la nef, mais peut-être aussi celle du chœur, autour des années 1150. En ce sens, si la chronologie de Willibald Sauerländer, qui imposerait de situer la construction de la nef au plus tard dans les années 1140, semble un peu précoce, la date basse retenue par Francis Salet, qui place la construction de la nef dans les années 1150-1160, semble quant à elle un peu trop tardive.
1. Francis Salet, « Notre-Dame de Corbeil », dans Bulletin monumental, t. 100, 1941, p. 81-118.
2. T. Pinard, « Monographie de l’église Notre-Dame-de-Corbeil », dans Revue archéologique, t. II, 1845-1846, p. 165-172 et 643-649.
3. Abbé J. Lebeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, Paris, Cocheris éd., 1863, vol. 4, p. 286.
4. Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa…, Paris, 1715-1865, t. VII, col. 328.
5. Francis Salet, « Notre-Dame de Corbeil », dans Bulletin monumental, t. 100, 1941, p. 85.
6. RF 1616 et 1617. Françoise Baron, Musée du Louvre, département des sculptures du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes. Sculpture française, t. I, Moyen Âge, Paris, 1996, p. 74.
7. Francis Salet, « Notre-Dame de Corbeil », dans Bulletin monumental, t. 100, 1941, p. 109 ; Françoise Baron, Musée du Louvre, département des sculptures du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes. Sculpture française, t. I, Moyen Âge, Paris, 1996, p. 74.
8. Willibald Sauerländer, La Sculpture gothique en France, Paris, 1972, p. 78-79. Telle est également l'opinion de Bernhard Kerber, Burgund und die Entwicklung der französichen Kathedralskulptur im der 12. Jahrhundert, Recklinghausen, 1966, p. 68.
9. Walter Cahn, « Observations on Corbeil », dans The Art Bulletin, t. 55, 1973, p. 321-327 ; Walter Cahn, « Nouvelles observations sur Corbeil », Bulletin monumental, t. 133, 1975.
10. Walter Cahn, « Nouvelles observations sur Corbeil », Bulletin monumental, t. 133, 1975, p. 8.
11. Xavier Dectot, « Early 12th Century Sculptures from the Collections of the musée national du Moyen Âge », Avista, 2003.
12. Francis Salet, « Notre-Dame de Corbeil », dans Bulletin monumental, t. 100, 1941, p. 91-92.
13Walter Cahn, « Nouvelles observations sur Corbeil », Bulletin monumental, t. 133, 1975, p. 8-9.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016